Alors que le numérique est omniprésent dans nos vies, la question de l’inclusion numérique, c’est-à-dire de la possibilité pour toutes et tous d’accéder à cet univers et à tous les services qui lui sont associés, se fait de plus en plus pressante. Voici quelques définitions pour aborder la question de l’inclusion numérique et inspirer des démarches positives en direction de tous les publics.
Inclusion numérique
Pour les Cahiers de l’inclusion numérique (We Tech Care/Emmaüs Connect), l’inclusion numérique, ou e-inclusion, « est un processus qui vise à rendre le numérique accessible à chaque individu, principalement la téléphonie et internet, et à leur transmettre les compétences numériques qui leur permettront de faire de ces outils un levier de leur insertion sociale et économique ». En 2013, dans son rapport Citoyens d’une société numérique, Le Conseil National du numérique définissait l’e-inclusion comme « l’inclusion sociale dans une société et une économie où le numérique joue un rôle essentiel ».
La question de l’inclusion numérique est souvent associée à celle de l’accès aux droits des personnes les plus fragiles socialement. En effet, la dématérialisation des services publics, si elle offre un confort d’usage pour une large part de la population (gain de temps, allégement des démarches, souplesse…), représente une difficulté supplémentaire pour certains publics, ne disposant pas du matériel ou des compétences pour recourir à ces nouveaux services numériques. Ces derniers peuvent alors représenter un frein supplémentaire pour l’exercice de leurs droits, l’accès et le maintien de prestations sociales ou plus simplement l’accès à l’information.
Mais dans une société de plus en plus « digitale », l’inclusion numérique déborde largement le seul sujet de l’accès aux droits. Rechercher un emploi, se déplacer, suivre la scolarité de ses enfants, piloter le budget de son ménage, recourir à un service de petites annonces, s’informer, se former, s’instruire, communiquer avec sa famille, ses amis, se divertir… la plupart, voire la quasi-totalité de nos interactions sociales se déroulent aujourd’hui, pour partie ou totalement, en ligne. Ainsi, l’inclusion numérique concerne bien d’autres publics que les seules personnes précaires, comme les personnes âgées ou celles en situation de handicap, par exemple.
Illectronisme
Selon la mission d’information du Sénat «Lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique », 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise. Pour l’Insee, l’illectronisme désigne « le fait de ne pas posséder les compétences numériques de base (envoyer des courriers électroniques, consulter ses comptes en ligne, utiliser des logiciels, etc.) ou de ne pas se servir d’Internet (incapacité ou impossibilité matérielle) ». Plus précisément, Eurostat distingue quatre domaines de compétences numériques : la recherche d’information (sur des produits et services marchands ou administratifs, etc.) ; la communication (envoyer ou recevoir des courriels, etc.) ; la résolution de problèmes (accéder à son compte bancaire par Internet, copier des fichiers, etc.) ; l’usage de logiciels (traitement de texte, etc.) et l’Insee place en situation d’illectronisme toute personne ne possédant aucune de ces quatre compétences de base, soit 17 % de la population française.
Mais pour la mission sénatoriale, il convient de considérer que « l’illectronisme forme un « halo », allant des formes les plus sévères, caractérisées par une incompétence totale à faire, associée bien souvent à un non-équipement, à des formes plus légères, caractérisées par l’absence de quelques compétences, parfois secondaires ». Ainsi, selon l’Insee, 38 % des usagers manquent d’au moins une compétence dans les quatre domaines identifiés par Eurostat.
Pour We Tech Care et Emmaüs Connect, 40 % de la population (âgée de 18 ans et plus) n’est pas complètement autonome dans son usage du numérique.
Notons que 7 % de la population serait durablement exclue du numérique, c’est-à-dire éloignée de toute perspective d’autonomie vis-à-vis de l’usage des services numériques, en donc en besoin d’une assistance individuelle pour des démarches en ligne.
Les personnes en situation d’illectronisme, quelle que soit la définition retenue, font face à des difficultés, variables, souvent cumulatives :
- manque de compétences : je ne sais pas me servir d’un ordinateur, je ne sais pas comment accéder à mon espace personnel (plateforme Pole emploi par exemple), je n’ai pas de compte email, je ne sais comment rédiger un courrier sur un ordinateur… ;
- défaut d’équipement et/ou d’accès à internet : je n’ai pas d’ordinateur, je n’ai qu’un smartphone et je ne sais pas comment installer une application, je n’ai pas d’accès à internet, je n’ai plus de forfait... Le défaut d’équipement est souvent lié au manque de compétences : je n’ai pas d’intérêt à acheter un ordinateur si je ne sais pas m’en servir, je ne sais pas utiliser un ordinateur car je n’en ai pas… ;
- manque de motivation : le numérique, ce n’est pas pour moi, j’ai bien d’autres problèmes à gérer, ça ne sert à rien… ;
- une situation de handicap, qui peut restreindre les capacités de la personne à utiliser certains services numériques ;
- l’illettrisme, alors que les services numériques sont textuels ;
- les personnes ne maîtrisant pas le Français.
Assistance (ou aidance) numérique
Face à la numérisation des démarches administratives, qui induisent souvent l’obligation de recourir à une plateforme en ligne, de nombreuses personnes en situation d’illectronisme requièrent une assistance. Plusieurs acteurs sont ainsi mobilisés :
- les travailleurs sociaux, dans les CCAS et les MDS, dont le métier est d’accompagner les personnes dans leur insertion sociale ;
- les personnels (salariés ou bénévoles) des associations à vocation sociale, associations caritatives, les accompagnants socio-professionnels dans les chantiers d’insertion ou qui accompagnement les demandeurs d’emploi, les bénéficiaires du RSA… ;
- les médiateurs numériques, dans les médiathèques ou dans certaines associations, certains CCAS, au sein des lieux d’accueil des organismes publics (Pôle Emploi, Caf…), des services civiques notamment.
Souvent, les personnes accompagnant les publics sont amenées à effectuer des démarches en ligne (accès au dossier individuel) avec la personne concernée, et même parfois à la place de quand l’urgence l’exige. Ces pratiques posent d’importantes questions d’ordre juridique, la responsabilité de la structure d’accueil pouvant être engagée. Il est donc essentiel de les sécuriser, en signant par exemple un mandat avec le bénéficiaire. De plus, l’accompagnement social doit rester du ressort des professionnels formés et outillés à cet effet (travailleurs sociaux), mais il n’est pas toujours simple, pour un médiateur numérique par exemple, de marquer clairement une séparation entre l’assistance sociale et l’assistance au numérique, quand il s’agit justement de faciliter l’usage de plateformes de services publics (pour l’ouverture ou le maintien de certains droits, par exemple).
Ces pratiques de faire avec peuvent être mises aussi à profit pour motiver et orienter les personnes vers les dispositifs d’apprentissage et de médiation numériques. Pour cela, il est essentiel que l’offre de médiation numérique soit clairement identifiée sur le territoire.
Pour tenter de répondre à ces enjeux cruciaux, la Mission société numérique de l’État a mis en place divers outils à destination des personnels accompagnant les publics :
- Aidants Connect, sécurise juridiquement les aidants qui accompagnent ces usagers sur les enjeux de confidentialité et de sécurité des données ;
- Le Kit d’intervention rapide propose des conseils et des guides pour les aidants numériques : J’accueille – Je diagnostique – J’accompagne – J’oriente ;
- FranceConnect, un système d’identification et d’authentification offrant un accès universel aux administrations en ligne, en connectant à plus de 700 services en ligne à partir d’un seul compte individuel (identifiant / mot de passe).
Vers l’autonomie et la « capacitation » numérique
Par opposition à l’illectronisme, l’autonomie numérique qualifierait la situation d’une personne pleinement apte à recourir individuellement aux services numériques dont elle a besoin.
Néanmoins, pour OuiShare et Chronos, qui se sont intéressés aux pratiques numériques dans les quartiers prioritaires, il faut se départir des catégorisations trop binaires. Les termes comme « fracture numérique » ou « inclusion numériques » sont trop chargés idéologiquement et impropres à décrire le réel. Ainsi, « il n’existe pas de fracture numérique qui opposerait inclus et exclus du numérique, mais des pratiques numériques riches, ancrées dans des situations très diverses, et des inégalités quant à l’activation des opportunités qu’elles ouvrent ».
S’il semble urgent de faciliter l’acquisition des compétences de base nécessaires pour le recours aux services numériques essentiels (et notamment pour l’accès aux droits), il faut aussi « aborder le numérique à partir des centres d’intérêt des personnes, valoriser ce que les habitants font déjà ». Il est intéressant et efficace de sensibiliser et de mobiliser les personnes à partir de leurs pratiques existantes, et sur des sujets qui les concernent (l’éducation des enfants, l’emploi, la vie du quartier…) pour rendre le numérique directement utile et « capacitant », en plaçant les personnes en tant qu’acteurs de leur parcours, et plus seulement « bénéficiaire » ou « apprenant ».
Pour être réellement inclusives, c’est-à-dire renforcer la capacité d’agir des personnes dans une optique d’émancipation et de pleine souveraineté personnelle, les démarches de médiation numérique doivent aussi intégrer une éducation aux usages : données personnelles, sécurité, e-réputation, usages des réseaux sociaux, etc. Ainsi, par exemple, la Cnil, Hadopi, le Défenseur des droits et le CSA ont édité un Kit pédagogique du citoyen numérique, ensemble de ressources pédagogiques (les droits sur internet, la protection de la vie privée, le respect de la création, l’utilisation raisonnée et citoyenne des écrans), à destination des parents et des formateurs.